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Focus sur Benjamin Cornet, libraire indépendant

Les Mots et les Choses, librairie généraliste à Boulogne (92)

Lorsque j’ai su en septembre 2013 qu’un jeune homme ouvrait une librairie dans un quartier alors en pleine mutation de Boulogne-Billancourt, ma ville, j’ai pensé : il ne tiendra pas un an. Au milieu des grues et des chaussées défoncées, des camions-toupies et du bruit des marteaux-piqueurs comment survivre ? Surtout à l’heure du numérique, d’Amazon, des écrans, et de la prétendue désaffection pour la lecture dont on nous rebattait les oreilles.

En septembre 2018, ce visionnaire, Benjamin Cornet, 36 ans, a fêté les 5 ans de sa librairie généraliste « Les Mots et les Choses », à laquelle il a adjoint entre-temps la bien nommée boutique « Les Jolies Choses« , qui propose jeux, jouets, papeterie et petite décoration. Sans parler, côté vie privée, de l’arrivée de 2 fillettes !
Situés à côté de l’ancien « trapèze » Renault – où se trouvaient bureaux et ateliers de la firme automobile –  les 2 magasins sont maintenant entourés d’immeubles flambant neufs, de restaurants et boutiques branchés,  et du tout nouveau lycée de Boulogne.

La librairie, avec ses 130 m2 et 16000 livres en stock donne la part belle à la Littérature, les Sciences, la BD, les ouvrages Jeunesse, les guides de Tourisme, les Beaux-Arts,  Sciences Humaines.. Alice, Anaïs, Elise, Marion, Marceau, Thomas entourent Benjamin pour accueillir et conseiller au mieux petits et grands lecteurs.

Pari réussi pour Benjamin, que Top-Topic a eu grand plaisir à rencontrer dans sa chaleureuse librairie.

                                                                                                                                                                                         (Benjamin Cornet)

Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

I N T E R V I E W

Au départ…

Top-Topic : Benjamin quelle est votre formation initiale ? Et votre parcours professionnel ?

Benjamin Cornet : Après l’Essec (Ecole de commerce), j’ai travaillé pendant un an chez
Albin Michel côté partenariats, puis dans une entreprise allemande de conseils en stratégie.

 

TTLB : Pourquoi une librairie ? Car il faut être sacrément courageux (ou fou ?) pour monter ce type de commerce à notre époque. D’autant plus que vous avez aussi ouvert 4 ans plus tard « Les jolies Choses – boutique utile et sympathique »

Benjamin Cornet : En 2012 j’étais dans une réflexion. : je voulais quitter mon travail.  Non pas « pour le quitter »,  j’y trouvais une stimulation intellectuelle, mais pour retrouver une stimulation passionnée. J’ai entendu parler à la radio d’une formation pour devenir libraire et cela m’est apparu comme une évidence ! Je n’étais pas dans la déraison car tout mon parcours académique et professionnel était déjà relié à la gestion et à la culture. Entre autres exemples : à l’Essec  je m’occupais d’un journal littéraire ;  un de mes stages était voué à la culture française en Islande ;   quand je voyageais j’allais toujours dans les librairies des endroits visités.
Alors je me suis beaucoup documenté, orienté, j’ai visité près d’une centaine de librairies, et j’ai fait cette formation puis 6 mois de stage dans 3 librairies différentes.

Ensuite j’ai sillonné et resillonné Paris, pour me rendre compte que le terrain d’implantation des librairies était balisé, que ce serait compliqué d’y trouver une place et que, pour fonctionner,  je devais occuper au moins 100 m2, mais aux prix des loyers de Paris, c’était risqué. 
Un copain m’a parlé du nouveau quartier émergent de Boulogne, avec ses nouveaux commerces et restaurants, qui formaient un  tissu synergique et sympathique. Il y avait aussi le nouveau lycée en construction (juste en face de la librairie), sans compter les immeubles, écoles et sièges sociaux tout neufs ou à venir. Autant de promesses. 

Quand à savoir s’il faut être fou ou courageux, tous les entrepreneurs le sont un peu non ? 
Ce qu’il me fallait c’était embarquer ma famille, mon entourage et les banques !

 

TTLB : Une librairie telle que la vôtre, indépendante, sur rue, en zone urbaine bénéficie-t-elle d’aides spécifiques au démarrage ?

Benjamin Cornet :  On peut bénéficier de prêts à taux zéro, ou de subventions, moins nombreuses. Ces aides viennent

. de la profession par l’association d’éditeurs ADELC,
Association Développement de la Librairie de Création

. du Ministère de la Culture par les Drac, (Directions Régionales des Affaires Culturelles),
et le CNL (Centre National du Livre)

. de la Région

. et du département (Hauts-de-Seine Initiatives en ce qui me concerne)

 

Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

Le métier, l’équipe

TTLB : On se sent bien tout de suite en entrant dans votre librairie, « Les Mots et les Choses », au chaud, entouré, guidé.  Avez-vous fait appel à un professionnel pour la conception de l’agencement ?

Benjamin Cornet : Le local avait déjà une configuration un peu en « labyrinthe », offrant d’emblée des espaces différents (devenus espace jeunesse, espace tourisme, espace BD, etc..)
J’avais aussi repéré les réalisations d’un très bon menuisier qui, au delà du travail du bois (pour les tables et rayonnages !) appréhende les volumes et apporte ses idées pour l’aménagement des volumes.

 

Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TTLB  : Quelles sont vos clefs pour avancer ?

Benjamin Cornet : Joindre la passion à son activité principale tout en étant porté par le challenge de développer le commerce.

Autre clef : les clients qui nous ont suivis dès le début et ont garanti ainsi un flux dès le démarrage, nous permettant de passer le cap de la première année, avec les écueils des premiers remboursements et factures à honorer.

Et enfin : nous savons qu’après 5 ans l’aventure n’est pas finie ! Le quartier n’est pas terminé, le lycée, dont 2018 fut la première rentrée, est rempli au quart de ses capacités, d’autres clientèles sont à venir.

 

TTLB : Et quelle est votre journée type ? J’imagine que la manutention prend déjà beaucoup de temps ?

B.C. : Il n’y a pas vraiment de journée type mais des cycles types, avec les rentrées littéraires, la rentrée scolaire, les grosses commandes d’institutions à des moments donnés.
Mais oui il y a des taches récurrentes : accueil du client et conseils, réception des ouvrages, rangement, traitement des commandes externes.
Note de Sophie : Quant à la manutention j’atteste : en 2h d’interview, j’en ai vu des cartons passer et repasser, être ouverts, triés, déballés, des livres rangés et d’autres partir en livraison. Car Les Mots et les Choses propose aussi la vente en ligne !

 

TTLB :  Que préférez-vous dans votre métier ? Et que détestez-vous ?

B.C.J’aime voir les clients revenir et j’aime oser des conseils.
Le contact avec les 6 personnes de mon équipe me plaît aussi beaucoup : les accompagner, les former et les faire progresser est gratifiant.
J’apprécie aussi de pouvoir emmener chez moi,  le soir, des classiques de la littérature que je n’ai jamais lus  !

Et ce que je déteste : c’est l’administratif !

 

TTLB :  L’équipe dont vous faites mention est jeune et très au fait de la question. Quels sont vos critères de recrutement ?

B.C. : Ce sont des gens clairement amoureux des livres, et aussi petits entrepreneurs à leur échelle avec leur rayon à manager. Ce sont des spécialistes. Ils ont des fiches de poste précises, je les recrute par réseaux ou annonces. Et ils savent qu’ils doivent faire le deuil d’une carrière fortement rémunératrice…

 

Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

(L’équipe !)

TTLB :  A quoi, de votre quotidien ou expérience, ne vous attendiez-vous pas en montant votre projet ?

B.C. : A avoir quelques pics de stress : je sortais d’un boulot angoissant, et maintenant il y a des moments où j’arrive à la librairie en me disant qu’il va falloir « débiter ».
Je ne suis pas dans la lassitude ou l’érosion, mais au contraire, sans routine,  parfois je me demande « qu’est-ce qui va se passer aujourd’hui », c’est ça le petit stress !

 

TTLB : Quels avantages le lecteur trouve-t-il à s’adresser à un libraire indépendant ? Et à un libraire plutôt qu’à internet ?

Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

B.C. : S’adresser à un humain c’est plus cool non ?  En librairie, on trouve la valeur conseil, une relation humaine tout simplement. Au bout de plusieurs de leurs visites, j’en connais déjà beaucoup sur mes clients, sans avoir été chez eux, sans les côtoyer ailleurs.

Mais c’est difficile d’être buté sur le sujet. Je suis moi-même client d’Amazon pour certains articles.  Et comme la télévision n’a pas tué la radio ou le cinéma, je pense que des circuits tels que ce site ne tueront pas les libraires. Je suis pour différents canaux, la question est plus un enjeu de société car on se prive d’un échange lors d’un achat sur internet.

 

Autour du livre


TTLB :
 « Les Mots et les Choses » organisent très souvent des rencontres signatures avec les auteurs,
en littérature Jeunesse ou Adulte. Comment organisez-vous ces événements ?Benjamin Cornet Les-Mots-et-les-Choses

B.C. : Par les contacts avec les attachés de presse et chargés de « Relations Libraires » des éditeurs.
Cela se fait suivant l’envie de la librairie ou la demande d’un éditeur. En général c’est plutôt la librairie qui demande.

 

TTLB : Quel(le) auteur rêveriez-vous de recevoir ?

B.C. : Albert Camus ! (rires)
Plus sérieusement : Annie Ernaux, Michel Houellebecq, Nicolas Mathieu

(ci-contre, Antonin Varenne en signature pour La toile du monde
/ A l’occasion de la soirée anniversaire des 5 ans de la librairie)

 

TTLB : Quels sont vos derniers coups de cœur littéraires ?

B.C. :  – Le dernier Goncourt « Leurs enfants après eux »,  de Nicolas Mathieu (Actes Sud)

– « La Belle de Casa », d’In Koli Jean Bofane, (aussi chez Actes Sud)

– « Sur le ciel effondré », de Colin Niel, (Editions du Rouergue), excellent polar dont l’action se déroule en Guyane et nous fait  découvrir l’orpaillage, la biodiversité, les problèmes de frontières, et bien d’autres choses de ce département français méconnu. « Les Mots et les Choses » ont déjà reçu 2 fois l’auteur en rencontres-signatures.

 

TTLB : La désaffection pour la lecture chez les jeunes ? Mythe ou réalité ?

B.C. : Le rayon Jeunesse est celui qui a démarré le plus fort chez nous et qui croît le plus. Les jeunes Boulonnais lisent beaucoup et Boulogne est une ville très familiale. Certes, à l’adolescence, il y a une désaffection pour la lecture qui est en concurrence avec les smartphones, les copains, les sorties.
Il faut juste espérer que ça revienne ensuite !

 

TTLB : Avez-vous une anecdote à relater aux lecteurs de Top-Topic ?

B.C. : Les inévitables erreurs dans les titres tels que « Je voudrais les Mots Passants de Guy », ou « Je lis d’abord le Rouge,  je lirai le Noir après ».

Il y a aussi eu ce billet de 10 € trouvé dans un livre à 9€, déjà en rayon, avec un petit mot
« Si vous avez ce livre entre les mains et l’avez ouvert, voici ce qui vous permettra de l’acheter ». Joli non ?!

 

TTLB : Et bien nous finissons sur une très jolie histoire ! Merci Benjamin et toute l’équipe des « Mots et les Choses » de votre accueil et votre disponibilité dans une après-midi chargée en préparation de commandes, visites de clients et représentants

lesmots-leschoses.fr

30 rue de Meudon – 92100 Boulogne
01.46.21.42.59
librairie@lesmots-leschoses.fr

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Benjamin Cornet dans « le choix des libraires » de l’émission phare La Grande Librairie (France 5) :