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Tenir debout dans la nuit – Eric Pessan

La dernière chronique de Nathalie Riché : au sujet d’un livre « casse-gueule » mais totalement réussi.

TENIR DEBOUT DANS LA NUIT – Eric Pessan

Tenir debout dans la nuit, le dernier roman d’Eric Pessan, aborde l’ère #meetoo en explorant ce qu’il se passe dans la tête d’une jeune fille après avoir été agressée par un adolescent. D’une justesse absolue.

Eric Pessan «Au début, au tout début, une fois la surprise et la douleur passées, c’est la colère qui m’a fait tenir debout. J’avais beau avoir peur, être perdue, blessée, terriblement honteuse, paniquée, la colère l’a emporté sur les autres sentiments : une colère brute et puissante, énorme et rouge vif, une colère dirigée contre Piotr, bien sûr, mais aussi contre moi, pauvre cloche, qui me suis fourrée toute seule dans un piège terrible ; une colère contre le monde entier, où à de rares exceptions près, il vaut mieux être un homme qu’une femme, où une fille ne sera jamais écoutée comme un garçon est entendu, où une femme est une proie et un homme, un prédateur, où l’on invente mille démonstrations, mille excuses, mille causes, mille malédictions, mille prétextes, mille justifications, mille arguments, mille versets, mille sourates, mille décrets, mille lois, mille raisons médicales, mille raisons physiologiques, mille mensonges pour soumettre les femmes au bon vouloir des hommes, où l’on invente de toutes pièces que les femmes sont plus faibles que les hommes, qu’elles doivent être soumises, dociles, obéissantes, dominées et commandées par les hommes. »

Le ton est donné. On entre dans le roman d’Eric Pessan comme un coup de poing lancé à la face du monde. Il y a un trop plein dans notre époque qui ne passe plus, un ras le bol qui perce, qui prend toute la mesure des dégâts et qui nous submerge. Un sujet tellement intense et si prégnant qu’il occupe toute la place de ce roman très réussi.

Lalie a été invitée en vacances à New York par Piotr, un de ses amis du lycée. Elle n’en revient toujours pas Lalie, à tout juste seize ans de se balader au cœur de Manhattan. Elle, la fille à qui il n’arrive jamais rien, qui vit seule avec une mère un peu dépassée qui « retient ses joies comme ses peines » et qui fait comme elle peut. Alors quand la charismatique Vanessa a proposé à son fils d’emmener un(e) camarade de classe et qu’elle a été choisie, Lalie a exulté ! Son rêve se réalisait, elle allait enfin voyager.
Mais le rêve tourne court lorsque la jeune fille comprend que Piotr et elle seront tous deux seuls dans l’appartement tandis que Vanessa file retrouver un amoureux dans un hôtel proche. Et surtout lorsque le garçon se montre lourdement entreprenant, menaçant et très vite violent avec elle. Lalie panique, s’enfuit du studio et se retrouve le soir dans la rue sans téléphone, sans argent, avec juste en poche son passe de métro, un recueil de poésie de Raymond Carver et son appareil photo.

C’est cette nuit d’errance ponctuée de flash-backs que raconte, de manière sobre et juste, Eric Pessan dans un roman qui se lit presque comme un témoignage. On suit Lalie au plus près, pas à pas, dans sa fuite dans Manhattan. On sent la peur physique, le corps qui rétrécit, la respiration qui fait défaut…

Suite de la chronique de Nathalie ICI !